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les Compagnons de la Lune et garrottés avant même d’avoir pu se rendre clairement compte de ce qui se passait

Le comte de Warrens, étranger à ces événements, s’était agenouillé sur le sol, et les yeux pleins de larmes, il prodiguait les soins les plus empressés au pauvre enfant qu’il tenait sanglant, livide et les yeux fermés entre ses bras, mais qui conservait encore un sourire de triomphe sur les lèvres pâlies.

Ce brave la Cigale n’avait pu y résister, lui ; il pleurait à chaudes larmes, en contemplant d’un air désespéré le pauvre petit qu’il croyait mort.

Enfin, le capitaine se releva ; il avait les sourcils froncés, le visage pâle ; il souleva l’enfant évanoui et il le plaça délicatement sur les bras étendus du géant ; puis jetant un regard sombre et inquisiteur autour de lui :

— Il n’y a pas d’étrangers ici ? demanda-t-il d’une voix sourde, nous sommes tous des Compagnons de la Lune ?

— Tous ! répondirent les assistants d’une seule voix.

— C’est bien, colonel.

Martial Renaud s’avança.

— Vous répondez sur votre tête de ces deux coupables ?

Passe-Partout ne se servait pas du mot : Prisonniers.

Il avait dit : Ces deux coupables.

C’était une condamnation à mort.

Chacun le sentit.

Les prisonniers eux-mêmes le comprirent ; ils frissonnèrent.

— J’en réponds, répliqua le colonel Martial Renaud. Les jugera-t-on ?

— Oui.

— Séance tenante ?

— Oui.

— Mais le comité de vigilance peut réclamer ce droit.

— Le comité de vigilance n’a rien à faire dans tout ceci. Frères, les coupables que voici appartiennent à la justice des Invisibles de Paris ; c’est pour eux seuls et sur un ordre émané de la Vente Suprême que nous sommes venus en Amérique. J’ai dit, fit Passe-Partout d’une voix qui empêchait désormais toute observation.

Le colonel Martial Renaud s’inclina respectueusement et se tut.

En ce moment, une certaine agitation se remarqua tout à coup dans un des groupes des Compagnons de la Lune, rassemblés dans un des angles retirés de la salle.

Un homme se détacha précipitamment de ce groupe.

Cet homme, c’était le baron d’Entragues.

Arrivé tout récemment de France, il s’était mêlé avec les derniers venus, et s’était fait immédiatement raconter les événements qui s’étaient passés.

Écartant les Compagnons de la Lune qui se trouvaient devant lui, il s’approcha de la comtesse de Casa-Real, affaissée, à demi évanouie, sur un siège.

Elle le vit venir.

Instinctivement elle ferma les yeux.

La comtesse ne connaissait pas cet homme, et pourtant cet homme produisait sur elle l’effet de l’ange exterminateur.