Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/935

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Passe-Partout n’entendait point, il sanglotait toujours, à genoux sur le sol et la tête cachée dans ses mains tremblantes.

— On se trompe…, n’est-ce pas ?… On veut me tromper…

Il se redressa pendant une seconde et secoua la tête négativement.

— Ma fille…, Noël…, vous m’avez toujours dit que mon enfant était une fille…, vous l’avez toujours dit.

Même silence de la part du comte.

Un éclair traversa alors comme un jet de flamme l’esprit de la misérable créature, toute sa fureur lui revint subitement :

— Ah ! il m’a trompée !… Il m’a menti !… Il ne m’a pas laissée embrasser mon enfant, même à l’heure de sa naissance… Ah ! la belle précaution qu’il a prise là…, ce père tendre…, ce père généreux…, ce père dévoué…, qui n’a seulement pas su ne pas se laisser voler son enfant, qui l’a perdu… abandonné peut-être… Ah ! ah ! ah ! ajouta-t-elle avec un rire de damnée… Voyons, lâche ! voyons, traître !… père sans cœur, sans entrailles…, mais dis-moi donc que ce n’était pas un fils… Jure-moi que c’était une fille…, jure-le… et je le pardonne.

Passe-Partout se releva lentement et regardant la malheureuse bien en face, les yeux dans les yeux :

— Fille dénaturée, tu as tué ton père… Femme adultère, tu as empoisonné ton mari… Dieu, je l’espère, n’a pas permis que tu fusses mère…., car cela serait trop horrible !… Regarde bien cet enfant, misérable créature… et prie que cet homme se trompe.

Il montrait le baron d’Entragues.

La créole prit la main pendante et glacée de Mouchette et la serra machinalement entre les siennes.

Elle attendait.

Quoi ? Elle n’aurait su le dire.

La Cigale, immobile, la laissa faire.

Le baron d’Entragues détourna la tête et tendit silencieusement à Passe-Partout des papiers qu’il tenait à la main.

Le capitaine prit avidement les papiers, il essaya de les lire…

Il ne le put.

— Lisez cela, mon frère, dit-il au colonel Martial Renaud en lui remettant ces papiers…, lisez…, et si ces preuves parlent…, déchirez-les… je comprendrai.

Le colonel Martial Renaud se mit à parcourir les papiers.

— Qui vous a donc chargé de ces pièces, mon ami ? demanda vivement Passe-Partout au baron d’Entragues, pendant que son frère les lisait tout bas.

— La haute Vente ! répondit celui-ci en n’osant pas regarder son chef.

À ces paroles le comte de Warrens chancela, comme s’il venait de recevoir une balle en pleine poitrine.

— Oh ! c’est bien vrai alors, car la haute Vente ne se trompe jamais, murmura-t-il d’une voix profonde.

Un cri affreux retentit.

Cri suivi de larmes, de sanglots et de convulsions.