Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— L’Épervier, notre ami ! Oh ! alors elle est sauvée, je veux le voir, il faut que je lui rende grâces ! s’écria le comte de Warrens en proie à une émotion extrême. Où est-il ? Où est Edmée, ma chère Edmée ? Mon Dieu ! c’est un miracle !

— C’est ce que j’ai pensé aussi, capitaine ! foi de Breton ! Les Sioux sont campés à deux lieues d’ici tout au plus, dans la forêt ; ils n’osent pas trop s’approcher de la ville, vous comprenez, à cause des Yankees.

— C’est juste.

— Alors, ma foi, j’ai vu notre demoiselle si triste, que je me suis chargé de vous aller chercher, capitaine, et me voici.

— Merci, mon brave gars, reprit le comte ; tu es un vrai Breton ; souviens-toi, Yann Mareck que je suis ton débiteur, pour le service immense que tu viens de me rendre.

Toutes les mains se tendirent spontanément vers le digne garçon, honteux et heureux à la fois de tant d’honneur.

— Et Edmée ? reprit encore le comte de Warrens.

— Oh ! notre demoiselle est respectée et choyée comme une reine ; soyez tranquille, allez, capitaine. Je n’en dirai pas autant du comte de Mauclerc, par exemple ; même, je crois bien qu’il file un mauvais coton ; après cela, vous me direz peut-être qu’il ne l’a pas volé.

— Sa blessure est mauvaise ?

— S’il n’y avait que cela, capitaine, ce ne serait rien, reprit-il en hochant la tête d’un air entendu, non, non, c’est autre chose ! L’Épervier et ses guerriers sont furieux contre lui ; le chef a juré par le Wacondah… — il paraît que c’est son dieu, à cet homme… — qu’il lui réglerait son affaire, ainsi qu’à la comtesse s’il pouvait jamais réussir à mettre la main sur elle.

— Ah ! ah ! fit le comte de Warrens en jetant sur Mme de Casa-Real un sourire d’une expression étrange…, très bien, mon gars ! voilà qui vaut mieux !

— Notre demoiselle a eu beau intercéder en faveur de son ennemi vaincu, c’est comme si elle avait chanté la complainte du cloareck de Machecoul ; les Peaux-Rouges n’entendent pas de cette oreille-là ; au moment où j’ai quitté le camp, d’après ce qui se faisait, je présume qu’on s’occupait de préparer le supplice du prisonnier…, et je crois bien aussi qu’il aura pas mal d’agrément, si je ne me suis trompé.

— À cheval, messieurs ! commanda le comte de Warrens, à cheval et en route ! Nous n’avons pas un instant à perdre. Tu nous guideras, n’est-ce pas, Yann ?

— Oui, capitaine.

— Aide Filoche à remettre la comtesse de Casa-Real sur son cheval.

Le Breton obéit.

— Eh ! vieux, elle a donc été pincée à la fin, la méchante bête, hein ? dit-il à Filoche. C’est pas malheureux. Nous a-t-elle assez fait courir après elle, hein ?

— Oui, mon fils, mais il faisait rudement chaud tout de même ! répondit celui-ci clignant de l’œil.