Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/944

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— Bon ! tu me conteras cela, n’est-ce pas ? Ça m’amusera. Pauvre femme ! ajouta-t-il ironiquement.

— Oui, parlons-en ; reprit Filoche en haussant dédaigneusement les épaules, avec cela qu’elle est aimable !… Scélérate, va !

On partit ventre à terre.

Une heure et demie après, on atteignait le camp des Sioux.

Les Sioux, au nombre d’une centaine environ, avaient établi leur campement dans une immense clairière de la forêt, sur le bord même du Rio Sacramento.

Au moment où arrivaient les Compagnons de la Lune, le comte de Mauclerc, dépouillé de tous ses vêtements et attaché, les bras étendus, au pied d’un arbre, de façon à ne pouvoir faire le plus léger mouvement, servait de but aux couteaux des féroces Peaux-Rouges, qui, avec une adresse infernale, s’appliquaient à ne lui faire que de légères mais douloureuses blessures.

Tandis que les aventuriers débouchaient au galop dans la clairière, ils l’entendirent qui s’écriait avec désespoir :

— Tuez-moi donc, bourreaux ! tuez-moi donc, lâches !

Son horrible supplice durait déjà depuis plus de trois heures.

Tout le corps du misérable n’était plus qu’une plaie hideuse.

L’Épervier, en apercevant les étrangers, laissa un instant le prisonnier et il s’élança, le visage riant, à leur rencontre, pour leur souhaiter joyeusement la bienvenue.

— Où est la jeune fille, chef ? lui demanda, après l’échange des premiers compliments, le comte de Warrens, qui ne voyait pas Edmée et qui ne cherchait qu’elle.

— L’Étoile-du-Matin est aussi bonne qu’elle est belle ! répondit sentencieusement le chef sioux, ce n’est pas une femme indienne ! la douleur de son ennemi lui fait mal, la vue du sang lui répugne. L’Épervier lui a fait construire par ses jeunes hommes un calli — hutte — à deux portées de flèche du camp, pour qu’elle n’entende pas les gémissements de ce chien peureux, ajouta-t-il avec un accent de mépris intraduisible, en désignant le misérable comte de Mauclerc.

— Je sais où est notre demoiselle, dit vivement le Breton ; si vous voulez, capitaine, je vais la prévenir.

— Va, mon gars, va, mais surtout retiens-la jusqu’à ce que tout soit terminé ici ; cet affreux spectacle lui ferait horreur.

— Soyez calme, capitaine. Je n’ai pas de goût non plus pour ces charcutages-là, moi, répondit le brave et dévoué Breton, avec un indicible accent de dégoût.

Et il disparut dans la forêt.

— Mes frères pâles s’assoieront au feu d’un chef et fumeront le calumet avec lui, dit le guerrier peau-rouge.

— Avec plaisir, chef ; vous nous faites honneur, répondit le comte.

— Que mes frères me suivent, reprit le sachent avec dignité.

— L’Épervier est un grand chef. N’abrègera-t-il pas le supplice de ce pauvre misérable ? demanda le comte de Warrens, en désignant d’un air de