osé leur faire une injure, sans leur donner la satisfaction à laquelle ils avaient droit en leur qualité de boucaniers et de frères de la Côte ; en un mot ils ne reconnaissaient plus de supérieurs, mais seulement des chefs temporaires, choisis par eux pour exécuter un coup de main, ou tenter une de ces audacieuses expéditions, dont les flibustiers s’étaient donné le monopole.
Un revirement aussi subit et aussi complet dans leur position, suffisait certes pour faire tourner les têtes les mieux organisées. Pourtant, il n’en fut pas ainsi pour ces deux jeunes gens. La première ivresse passée, ils envisagèrent froidement les événements qui leur avaient valu cette magnifique récompense ; ils trouvèrent que l’on n’avait fait, au résumé, que leur rendre la justice qui leur était due pour leur conduite à bord du Coq et, du premier coup, ils se sentirent à leur place.
C’est-à-dire que chez eux l’orgueil et l’égoïsme commençaient à faire leur office.
Vent-en-Panne habitait une charmante maisonnette construite à l’extrémité d’une pointe avançant assez profondément dans la mer et d’où l’on avait sous les yeux un panorama immense et des plus accidentés. Dans un hâvre en miniature située devant la maison, quatre ou cinq pirogues assez grandes et en très-bon état appartenant au boucanier, étaient tirées sur le sable.
L’intérieur de la maison répondait à ce qu’annonçait l’extérieur ; les meubles commodes sans être luxueux étaient rangés avec ce soin méticuleux qui distingue les marins ; tout était dans un ordre admirable, soigné et tenu propre avec une exagération, qui aurait fait le bonheur d’une ménagère hollandaise.
Une table, avec quatre couverts, était dressée dans une salle à manger boisée, dont les larges fenêtres s’ouvraient sur la mer.
— À table, frères, dit gaiement Vent-en-Panne, le dîner nous attend.
— Et il est grandement temps de manger, dit silen-