Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/184

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bauché, n’avait été qu’un long problème ; en somme, cet homme était une de ces étranges personnalités dont Paris a de tout temps fourmillé et qui n’ont d’autre Dieu que le hasard. Au physique, long comme une perche, maigre comme un échalas, fendu comme un compas, mais leste, vif et adroit comme un singe, dont il avait la malice et la méchanceté. Son visage blême, émacié par la misère, était pointu comme le museau d’un furet ; ses yeux gris, enfoncés sous l’orbite pétillaient d’astuce, son regard ne se fixait jamais ; sa physionomie, qu’il savait changer à sa guise au moyen des grimaces les plus invraisemblables, avait, quand elle était au repos, une indicible expression d’impudence, d’insouciance et de bonhomie narquoise et rusée ; ses bras et ses jambes d’une longueur démesurée, sans cesse en mouvement et terminés, caprice bizarre de la nature, par des pieds et des mains d’une forme exquise et d’une petitesse microscopique, lui donnaient l’apparence d’un énorme faucheux qui se tiendrait sur ses pattes de derrière.

Tels étaient les engagés du capitaine Vent-en-Panne. Il les avait achetés au hasard, mais les eût-il choisis exprès, il n’aurait pas mieux réussi à se compléter la collection la plus bizarre de bohémiens qui se puisse imaginer. Du reste, bientôt sans doute nous les verrons à l’œuvre et nous serons plus à même de les juger.

Lorsque l’appétit des convives de Vent-en-Panne fut calmé et que le repas tira à sa fin, le boucanier fit apporter les liqueurs, les pipes et le tabac, verser le café, puis il ordonna à ses engagés de se retirer.

Les quatre frères de la Côte demeurèrent seuls.

— Maintenant, causons, dit Vent-en-Panne en bourrant sa pipe.

— Causons, répondirent les autres en l’imitant.

Les boucaniers disparurent bientôt presque complétement au milieu d’un épais nuage de fumée.

— Eh ! bien ! dit Vent-en-Panne, il me semble que tout s’est assez bien passé, hein ! compagnons ?