Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/214

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— Sur mon âme, je suis fou, dit-il en souriant, nous ne sommes pas venus ici pour nous quereller.

— Pourquoi donc, alors ?

— Pour nous expliquer comme doivent le faire deux hommes comme nous, dont le courage est éprouvé et qui s’estiment, c’est-à-dire franchement et loyalement.

— Vous savez, Montbarts, que je ne vous comprends pas du tout ?

— Bon, vous allez me comprendre, cher ami, n’ayez peur.

— Je vous avoue que je le désire vivement.

— Bon ! soyez donc satisfait. Mon cher Bothwell, voici fort longtemps déjà que nous nous connaissons, quoique vous soyez bien jeune encore. Nous avons plusieurs fois navigué de conserve et combattu côte à côte.

— Où voulez-vous en venir ?

— À vous faire comprendre ceci, que je vous connais aussi bien et peut-être mieux que vous ne vous connaissez vous-même. Vous êtes très-fin, très-délié ; aussi réussissez-vous facilement à tromper tout le monde, excepté moi, et à donner le change à ceux qui essaient de vous surveiller de trop près.

— Tout cela est possible, mais je ne vois pas jusqu’à présent ?…

— Patience, j’y arrive : Vous étiez avec votre navire qui est fort beau et fort bien espalmé, je dois en convenir ; vous étiez, dis-je, mouillé à Port-Margot, en partance pour la Jamaïque, lorsqu’au moment où, après avoir dérapé, vous orientiez pour mettre le cap en route, une pirogue venue de je ne sais où accosta votre bâtiment. Une demi-heure plus tard cette pirogue s’éloignait et vous, au lieu de vous rendre à la Jamaïque, vous viriez de bord et vous vous dirigiez grand largue vers Léogane ?

— Cela prouve, tout simplement, que j’avais changé d’avis.

— C’est vrai, mais pourquoi aviez-vous changé d’avis ? voilà ce qu’il m’importait de savoir.

— Ah ! ah ! Et pourquoi donc cela, s’il vous plaît ?