les cabarets chantaient au loin. Le flibustier anglais continua pendant quelques instants encore à se promener de long en large, sur la grève déserte.
Il réfléchissait.
Bothwell était le fils d’un riche fermier de la province de Galles ; tout jeune encore, il s’était échappé de la maison paternelle, et s’était rendu à la Barbade, où il s’embarqua sur un corsaire. Bientôt, grâce à son courage et surtout à son bonheur dans ses expéditions, il acquit une grande réputation parmi les frères de la Côte ; son nom devint la terreur des Espagnols.
À l’époque où nous le mettons en scène, depuis près de dix ans déjà, il faisait la course, et cependant il était tout jeune encore, puisqu’il avait à peine trente ans ; il était grand, bien fait, admirablement beau, et doué d’une force corporelle extraordinaire.
Sa physionomie douce, presque timide, avait une expression peut-être trop efféminée pour un homme ; sa voix fraîche harmonieusement timbrée, avait des notes d’une suavité singulière. Mais lorsque la passion le maîtrisait, que la colère gonflait son cœur, une métamorphose étrange s’opérait en lui ; ses traits se décomposaient, se heurtaient et prenaient une expression terrible ; ses yeux d’un bleu sombre, lançaient de fulgurants éclairs ; ses pupilles dilatées, laissaient filtrer à travers ses longues paupières des lueurs phosphorescentes et magnétiques, comme celles des fauves : son visage d’une pâleur verdâtre prenait une expression de férocité indicible ; son nez aux ailes mobiles semblait aspirer le carnage, et sa bouche railleuse, sardonique, aux lèvres violacées, et aux dents larges et blanches, comme celles des carnassiers, lui donnait un cachet de cruauté implacable ; sa voix devenue stentoréenne résonnait en sinistres accents, dominait les grondements de la tempête et les clameurs stridentes de la bataille ; en un mot la transfiguration était complète.
Au moral Bothwell était un tigre, doublé d’une hyène ; il ne croyait à rien ; professait un profond mépris pour