Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/230

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couraient dans l’espace avec la rapidité d’une armée en déroute, la chaleur était étouffante ; le vent soufflait par rafale avec de lugubres sifflements ; soudain les vapeurs se dilatèrent sous la pression de l’atmosphère, un torrent de pluie se mêla au fracas de l’ouragan, reprenant avec une fureur nouvelle ; le soleil se voila, et il se fit une obscurité profonde, dans laquelle on ne distinguait plus rien que les lignes d’eau fouettant la nappe d’écume de la mer, ou les plaines inondées.

Une rafale plus forte que les autres balaya les nuages, le jour reparut ; alors les habitants, ceux du moins que la terreur n’avait pas complétement affolés ou rendus indifférents à ce qui se passait autour d’eux, poussèrent une immense clameur d’épouvante.

Ils avaient aperçu un beau navire de huit cents tonneaux au moins, entièrement démâté, rasé comme un ponton, incapable de se diriger ; arrivant avec la rapidité d’un cheval de course, le cap droit sur la passe étroite de la baie du Lamentin.

Ce navire désemparé, privé de son gouvernail, était drossé, par les courants sous-marins qui l’entraînaient avec une force irrésistible vers l’entrée de la baie, sur les rochers de laquelle du premier choc il serait réduit en poudre.

La perte de ce beau navire n’était malheureusement que trop certaine, dans l’état où il était réduit, aucune puissance humaine, quand même l’ouragan se fût calmé et la mer redevenue manse, n’aurait pu le préserver de la catastrophe terrible dont il était menacé, et vers laquelle il accourait avec une rapidité toujours croissante.

Il était évident pour les spectateurs anxieusement groupés sur la plage, que personne n’essayait à bord du navire inconnu, de lutter contre la tempête et de diriger la marche du bâtiment de façon à le faire s’échouer sur le sable de la baie, au lieu de s’aller briser sur les rochers, dont les crêtes menaçantes et couronnées d’écume apparaissaient à droite et à gauche de la passe.