— Capitaine, sur l’honneur, je ne comprends rien à vos paroles, interrompit le Chat-Tigre.
— Oui, cela vous surprend, n’est-ce pas, de m’entendre parler ainsi, après l’aveu que je vous fais, vous ne comprenez rien à mes paroles ; en effet il doit en être ainsi. Deux mots d’explication suffiront pour faire cesser votre étonnement. D’après les lois de notre association, tout frère de la Côte, convaincu d’avoir usé de trahison pour se venger d’un autre, si légitime que soit cette vengeance, est jugé par le grand conseil, et condamné à mourir de faim sur la roche de Tiburon, après avoir eu les pieds et les mains coupés à coups de hache. Or si grande que soit ma haine contre Vent-en-Panne, elle ne va pas jusqu’à risquer un pareil supplice pour la satisfaire. De plus, j’ajouterai que même si cette menace n’était pas suspendue sur ma tête, je ne consentirais pas à employer contre lui les moyens que vous me proposez. À mon avis la trahison est l’arme des lâches ; jamais je ne m’en servirai. Donc ce moyen ne vaut pas mieux que l’autre, il vous faut y renoncer si vous êtes toujours dans l’intention de me prendre pour complice dans la vengeance que vous méditez contre cet homme.
— Toujours !
— Mais il doit y avoir un moyen pourtant ! s’écria Chanteperdrix en se frappant le front avec colère.
— Certes, il y en a un ; reprit Bothwell avec un sourire.
— Lequel ? s’écrièrent les deux hommes en se rapprochant.
Ils sentaient leur espoir renaître.
— Un certain proverbe, que je vous engage à méditer, prétend que la vengeance se mange froide, vous me comprenez, n’est-ce pas, mes maîtres ? reprit le boucanier avec cet accent narquois qui lui était particulier ; supposez par exemple ceci : tous les jours les frères de la Côte tentent des expéditions plus ou moins formidables, plus ou moins lointaines ; supposez, dis-je, que Vent-en-Panne, dans un but ou dans un autre, demain, dans quinze jours, ou dans un mois, peut-être plus tard,