S’attaquer à lui, c’est vouloir combattre, armé d’un cure-dent, un lion furieux. Ignorez-vous de quelle manière il s’est emparé avec vingt-cinq hommes du vaisseau espagnol le Santiago, et cela en vue de Cuba, presque à l’entrée du port ? Non, vous dis-je, vous ne réussirez pas à vous emparer de lui ; il vous brisera comme verre ; renoncez à ce projet insensé.
— Soit, mais au lieu de lutter face à face contre ce démon, n’est-il pas d’autres moyens de s’emparer de lui ?
— Peut-être y en a-t-il un ; encore n’affirmerai-je pas qu’il réussira ; Vent-en-Panne est aussi fin que brave ; c’est un lion doublé d’un renard ; il déjouera toutes les trames ourdies contre lui.
— C’est d’une trahison que vous parlez, n’est-ce pas ? une embuscade ! un guet-apens ?
— Oui.
— Pourquoi ne pas essayer ?
Bothwell hocha la tête sans répondre.
— Cependant vous le haïssez ? dit Chanteperdrix.
— En servant notre vengeance, vous servez votre haine.
Le flibustier leur imposa silence d’un geste de la main.
Quelques minutes s’écoulèrent pendant lesquelles on n’entendit d’autre bruit dans la salle que celui de la respiration haletante des trois hommes.
Enfin Bothwell releva la tête ; il se versa une large rasade, la but d’un trait et reposa le verre sur la table, avec une telle force qu’il se brisa en éclats.
— Écoutez-moi, et surtout comprenez-moi bien, dit-il d’une voix sourde ; Vent-en-Panne est mon ennemi mortel ; je le hais de toutes les forces vives de mon cœur ; le jour où je le verrai se débattre à mes pieds, dans les affres de l’agonie, ce jour ma joie serait au comble ; cependant malgré mon désir de vengeance, je ne puis vous aider dans vos projets contre lui. Je suis malgré moi contraint de rester neutre, dans cette lutte que vous voulez entreprendre.