Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/304

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jour ? et alors, ajouta-t-il avec un indicible sentiment de mélancolie, peut-être regretteras-tu d’avoir retrouvé cette famille, vers laquelle tu espères aujourd’hui, et rejetteras-tu loin de toi avec mépris ce nom que tu ambitionnes pour reprendre le modeste, mais si honorable surnom que tu portes aujourd’hui, et que tu auras fait glorieux ?

Le jeune homme secoua tristement la tête à plusieurs reprises.

— Non, matelot, dit-il avec découragement, je ne crois pas à ces éblouissants mirages ! C’est en vain que tu essaies de ressusciter un cadavre ; mon parti est pris ; ma vie entière se résume en ces trois mots : « souffrir sans espérer ; » pourquoi essayer de faire luire devant mes yeux ces radieuses folies ? j’aime ma douleur, je ne veux pas être consolé ; parce que ma vie n’aurait plus de but.

— Et quel est ce but ? voyons, entêté que tu es ! s’écria Vent-en-Paune avec une impatience fiévreuse.

— Me dévouer pour celle que j’aime, à chaque heure, à chaque seconde, sans que jamais elle se doute qu’il y a près d’elle, perdue dans la poussière, une créature humaine, ne vivant que pour elle, sans ambitionner d’autre récompense que de la savoir heureuse, même avec un autre amour ! s’écria-t-il avec élan. Comprends-tu maintenant, matelot, la portée de mon dévouement et jusqu’à quel point je fais abnégation de moi-même !

Vent-en-Panne regarda un instant le jeune homme avec une stupéfaction profonde.

— C’est bien, dit-il enfin d’une voix sourde, si cette femme que tu aimes ainsi, et que je ne connais pas encore, est réellement telle que tu me l’as dépeinte, s’il n’existe entre vous d’autres différences que celles du nom et de la fortune, je te le jure, tu l’épouseras !

L’Olonnais à ces mots fit un bond de panthère, la poitrine haletante, les traits enflammés, il s’élança vers Vent-en-Panne, sombre, immobile au milieu de la pièce.