Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/337

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— Je n’ai pas mérité cet excès de torture ; Dieu a voulu m’éprouver ; mais son bras s’est appesanti trop lourdement sur moi ; je me révolterais contre les coups dont il me frappe, si je n’avais pas foi dans sa justice.

Depuis plus de deux heures, sans s’en apercevoir, le flibustier marchait ainsi à l’aventure ; étranger à tout ce qui l’entourait et conversant avec son cœur ; lorsque soudain, il s’arrêta, ou plutôt son chien l’arrêta, en venant se placer devant lui.

Le flibustier releva la tête, sembla s’éveiller en sursaut, et jeta autour de lui un regard presque effaré.

Il avait sans y songer traversé la savane du grand fond, franchi une forêt assez épaisse ; maintenant, il se trouvait arrêté, sans comprendre comment il était arrivé jusque-là, sur le bord même de l’Artibonite.

— Où diable ai-je la tête ? murmura-t-il, selon la coutume des gens accoutumés à vivre seuls, et pour lesquels le monologue est devenu presque un besoin ; où diable me suis-je fourré ? Je suis au moins à quatre lieues du boucan ! Eh bien, voici par exemple une triomphante idée ! Heureusement que ce brave Gavacho m’a prévenu, — Gavacho était le nom du venteur ; — sans lui, j’allais tout bêtement me jeter dans la rivière ; allons, il faut retourner. C’est égal, je ne regrette pas ma promenade !

Tout en se parlant ainsi, il laissait errer ses regards sur le magnifique paysage, qui se déroulait sous ses yeux.

Soudain, il tressaillit ; ses yeux se rivèrent pour ainsi dire, sur un point assez éloigné de l’horizon, où scintillait, perdue dans l’espace, une lumière tremblotante.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? reprit-il ; ce sont les mornes de Pensez-y bien, que j’ai devant moi ; d’après ce que j’ai entendu dire, les derniers marrons ont été chassés et arrêtés il y a trois jours ; on a même fait une battue générale dans ces mornes ; comment s’y trouve-