l’atmosphère est d’une si incomparable pureté, que les regards peuvent s’étendre à une distance considérable ; une de ces nuits enfin, pendant lesquelles les organisations d’élite sentent leur âme s’attendrir et se laissent aller sans y songer, à une douce rêverie ; les lucioles bourdonnaient dans l’air, on entendait sous chaque brin d’herbe, le susurrement mystérieux des infiniment petits, dont le travail ne s’arrête jamais. La brise nocturne faisait parfois doucement vibrer les larges feuilles des liquidembars, des fromagers, des sabliers, et de tous ces géants de la création, qui s’épanouissent au désert dans toute leur majesté ; à de courts intervalles, l’oiseau diable, caché dans quelque excavation, au plus haut des mornes, lançait sa note stridente à travers l’espace, comme un coup de sifflet, auquel répondait sur les plages lointaines, le cri mélancolique presque humain du lamentin, couché sur la grève.
Tous ces bruits réunis, dont beaucoup n’avaient pas de cause appréciable ou connue, se réunissaient pour former une basse continue, semblant être la respiration de la nature endormie.
Vent-en-Panne continuait sa promenade, tout en s’absorbant de plus en plus dans ses pensées. La rencontre qu’il avait faite quelques heures auparavant, avait réveillé dans son esprit des souvenirs sinistres, assoupis et presque engourdis, depuis de longues années, au fond de son cœur.
Il se revoyait à vingt ans, beau, riche, bien en cour ; fortune, gloire, amour, tout lui souriait ; puis tout à coup sans que rien eut pu le faire prévoir, une effroyable catastrophe détruisait à jamais cet avenir radieux ; et du faîte des grandeurs, le plongeait pour jamais, dans une vie d’abjection et de déboires.
Il récapitulait dans sa pensée, toutes les douleurs qu’il avait souffertes ; toutes les péripéties étranges qui tour-à-tour avaient obscurci son existence ; et les regards tournés vers le ciel avec une expression non de reproche mais de résignation, il se disait mentalement :