machinalement les papiers que lui tendait le comte ; quoi que vous exigiez de moi, je le ferai ; je vous le jure.
— Je le savais. Voici mon testament ; il est antidaté d’un an, entièrement écrit de ma main ; je vous nomme tuteur de ma sœur, à laquelle je lègue toute ma fortune dont vous verrez le détail ; elle s’élève, je crois, à près de trois millions de livres, en terres, bons de caisse, etc. Je suis le dernier de mon nom ; le chef de ma famille ; il n’y aura donc aucune difficulté pour mettre ma sœur en possession de mes biens ; acceptez-vous cette mission de dévouement ?
— Je l’accepte, oui, mon ami ; mais ne reverrez-vous pas votre mère, votre sœur ?
— Relisez la lettre de l’amiral de Chabannes, mon cher docteur, répondit-il avec amertume, et voyez la date ; je suis mort le 17 mai ; nous sommes aujourd’hui le 2 juin, voilà seize jours que ma succession est ouverte ; dans l’intérêt même de ma sœur, je ne dois pas la voir, bien que j’aie le cœur brisé.
En ce moment un valet parut.
— Que voulez-vous ? demanda le docteur ; n’ai-je pas dit que je n’y étais pour personne ?
— Mmes la marquise douairière de Manfredi-Labaume, et Sancia de Manfredi-Labaume, insistent pour voir le docteur Guénaud ; répondit respectueusement le valet.
Les deux hommes échangèrent un regard d’une expression étrange.
— Dans cinq minutes j’aurai l’honneur de recevoir ces dames ; dit le docteur d’une voix à peine articulée ; allez.
Le valet salua et sortit.
— Vous le voyez, docteur, dit le comte, dont le visage était pâle comme un suaire, elles aussi ont reçu la nouvelle de ma mort. Mon Dieu ! mon Dieu ! plus rien au monde ! ah ! c’est à moi que j’ai imposé le châtiment le plus terrible !