Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/75

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pris et reconnus, nous n’avons pas à nous dissimuler que nous serions pendus haut et court. Que sommes-nous en effet ? des traîtres. Nous pouvons nous dire nos vérités l’un à l’autre, nous sommes frères par le sang et complices pour la vengeance. Le gouvernement espagnol ne donne rien pour rien ; les onces qui garnissent nos ceintures, celles en bien plus grand nombre qui les suivront, tu sais ce qu’elles nous coûtent.

— C’est vrai, répondit le Chat-Tigre, mais cependant si ce marché était à refaire, je n’hésiterais pas plus que la première fois. D’ailleurs nous ne trahissons pas la France.

— Voilà une distinction qui me paraît un peu bien subtile, fit l’autre.

— Nullement, elle est toute naturelle au contraire.

— Voyons, comment tu me prouveras cela ?

— Oh ! bien facilement. Tu admets avec moi que les Ladrones, comme les nomment les Espagnols, ou les Frères de la Côte, comme ils se nomment eux-mêmes, c’est-à-dire les boucaniers, les flibustiers et les habitants de l’île de la Tortue et de la Côte de Saint-Domingue, ne sont pas autre chose que des bandits sans foi ni loi ; n’appartenant à aucun pays, ne reconnaissant aucun gouvernement et qui sont, pour me servir d’une expression anglaise qui rend énergiquement ma pensée, outlawed, c’est-à-dire mis hors la loi par toutes les nations ?

— Cependant ces hommes, quels qu’ils soient, ont un gouverneur français ?

— Pardon ! ils ont, ce qui n’est pas la même chose, un gouverneur nommé par la Compagnie des Indes ; s’ils paient au roi de France une dîme d’un dixième sur leurs parts de prises, c’est un honteux tribut que le roi Louis XIV devrait rougir de recevoir ; car il leur vend ainsi l’autorisation de commettre tous les crimes sous la sauvegarde de son drapeau. Mais il ne les reconnaît pas pour ses sujets, titre que, du reste, les Flibustiers ne voudraient pas accepter.