— Comme on voit bien que vous ignorez tout ce qui se passe ? répondit l’haciendero en haussant les épaules ; St-Domingue est en partie occupé par les Ladrones, ils y ont leur repaire. Le duc de la Torre est demeuré près d’un mois dans cette île, au milieu des Ladrones avec lesquels, dit-on, il s’entend fort bien.
— Ah ! diable ! fit l’Olonnais en hochant la tête.
— Ah ! ah ! vous commencez à comprendre.
— Mais je le crois : cela peut être sérieux ?
— Plus que vous ne le supposez ; on dit tout bas que le projet caché du duc de la Torre, qu’un vaisseau de guerre français a conduit ici, à la Vera-Cruz ; on dit tout bas, qu’il a l’intention avec l’aide des Ladrones de s’emparer de la ville ; de toutes celles du littoral, puis lorsqu’il sera maître de la côte, de marcher sur Mexico, faire le vice-roi prisonnier, et se proclamer roi du Mexique.
— Ah ! par exemple, la bourde est trop forte ! s’écria l’Olonnais, en riant à se démettre la mâchoire.
— Je partage cet avis ; mais souvenez-vous de ceci, il n’y a bourde, si forte qu’elle soit, qu’on ne fasse avaler aux gens, en sachant bien s’y prendre.
— C’est juste, mais celle-ci a une raison et un but ; ses propagateurs doivent savoir pourquoi, ils la prônent ? ils ont sans doute un intérêt à agir ainsi ?
— Eh mon Dieu oui ! on a toujours un intérêt à faire le mal ; le duc compte beaucoup d’ennemis ; ces ennemis sont puissants ; furieux de son élévation, pour miner plus facilement sa fortune, ils commencent par essayer de le perdre dans l’opinion publique.
— Sur ma foi, voilà un triste pays ! je vous avoue, cher don Pedro, que je regrette fort d’y être venu ; si c’était à recommencer, sachant ce que je sais aujourd’hui, Caraï ! je me garderais bien de le faire !
— Très-bien ! mais ces réflexions viennent trop tard ; vous y êtes il vous faut y rester ; ainsi croyez-moi ; agissez avec la plus grande prudence ; tournez, comme on dit vulgairement, sept fois votre langue dans la