Page:Aimard - Les rois de l'océan, 2 (Vent-en-panne).djvu/14

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comme les oiseaux du ciel ; j’aime l’Olonnais ; je l’aime de toutes les forces de mon âme, depuis la première heure où je l’ai vu ; mais cet amour ne m’a rendue ni injuste, ni jalouse, ni méchante ; il m’a seulement douée de clairvoyance, en me permettant de lire, malgré vous, dans votre cœur, comme dans un livre ouvert ; vous l’aimez et il vous aime, madame ; soit, je ne saurais l’empêcher ; je ne le pourrais et ne le voudrais pas ; mais si j’accepte cette rivalité, ou plutôt si j’admets cette supériorité, que le hasard vous donne sur moi, c’est à la condition que vous aimerez mon ami, comme je l’aurais aimé moi-même ; maintenant venez, madame, je vais vous reconduire à votre père.

— Un instant encore ? s’écria l’Olonnais avec énergie, cette explication que vous avez provoquée, Fleur-de-Mai, et dans laquelle vous nous avez entraînés malgré notre volonté, doit être complète. Quel que soit le sentiment qui m’agite et gronde dans mon cœur, il faut que Mlle de la Torre sache bien ceci : que je professe pour elle un inaltérable dévouement, que quoi qu’il advienne, je serai toujours le plus respectueux de ses serviteurs, que le jour où elle me demandera ma vie, ce sera avec joie que je la lui donnerai.

— Monsieur, répondit la jeune fille avec émotion, j’ai peut-être regretté un instant, l’intervention étrange quoique bienveillante, de votre amie Fleur-de-Mai ; à présent je ne sais pourquoi, mais il me semble que je suis presque heureuse, de l’avoir entendue parler ainsi qu’elle l’a fait.

— Oh ! mademoiselle ! s’écria-t-il avec passion.

Elle l’interrompit d’un geste et continua avec un sourire triste :

— Dans quelques heures nous serons séparés, mais le cœur franchit les distances, et les pensées dans leur vol rapide, sont toujours près de ceux qu’on aime. Bien que séparées matériellement, nos âmes seront toujours ensemble ; si la différence de ma position sociale exige de moi une certaine réserve, et m’empêche d’expri-