Page:Aimard - Les rois de l'océan, 2 (Vent-en-panne).djvu/79

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se dirigèrent à force de rames vers le môle ; au fur et à mesure que les canots s’approchaient de la ville, le vaisseau, sans impulsion visible, semblait décrire une courbe sensible ; si bien que lorsque les embarcations accostèrent le môle, on reconnut que le Robuste s’était placé, ou plutôt embossé de façon à ne rien avoir à redouter des canons du fort, tandis que lui, pouvait foudroyer la ville avec ses batteries.

M. de la Serga, sous prétexte de rendre au vice-roi, les honneurs dus à son rang, avait fait prendre les armes à toute la garnison ; les rues regorgeaient de soldats ; les troupes occupaient divers points stratégiques ; la foule des curieux avait été repoussée assez loin, pour ne gêner en rien les manœuvres militaires.

Le gouverneur, à la tête d’un brillant état-major, vint recevoir ses hôtes à l’escalier du môle ; il offrit gracieusement le poing à Mme  de la Torre tandis que M. de Lartigues présentait le sien à doña Violenta.

— Voilà un bien grand déploiement de forces, M. le comte, dit M. de Lartigues avec un sourire ironique.

— Vous m’excuserez, M. le baron ? répondit le gouverneur sur le même ton ; nous sommes peu habitués ; à recevoir la visite de vos compatriotes ; la population est très-hostile aux Français ; j’ai cru devoir prendre ces précautions, afin d’éviter un conflit presque probable.

— Je ne vous blâme pas, monsieur ; vous voyez que moi-même, répondit M. de Lartigues, en étendant le bras vers le Robuste, je me suis mis en mesure de répondre à une attaque, sinon de la prévenir.

Tous les yeux se portèrent alors sur le vaisseau ; le gouverneur reconnut avec un dépit secret, que tous les sabords étaient ouverts, les pièces en batterie, les mèches allumées ; un geste, un signe de M. de Lartigues et une grêle de mitraille aurait, comme un vent de mort, passé sur la ville et balayé ses quais.

Le comte de la Serga se pencha à l’oreille d’un de ses officiers, lui dit quelques mots à voix basse ; celui-ci s’éloigna aussitôt.