Aller au contenu

Page:Aimard - Les rois de l'océan, 2 (Vent-en-panne).djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous avez désiré me voir ? dit M. de la Torre, en jetant un regard scrutateur sur l’étranger ; que désirez-vous, señor ? je suis prêt à vous entendre.

— Monsieur, répondit l’arriero en s’approchant jusques à toucher la table derrière laquelle le noble Espagnol était assis, veuillez je vous prie m’examiner avec plus d’attention et me dire si vous me reconnaissez ?

— Non ; répondit le duc au bout d’un instant, après avoir attentivement regardé son singulier interlocuteur ; je crois être certain, de vous voir aujourd’hui pour la première fois ; cela du reste n’a rien d’étonnant, n’étant arrivé que depuis dix jours à la nouvelle Espagne.

— Peut-être m’avez-vous rencontré ailleurs ? reprit l’arriero.

— Non, je ne le crois pas ; j’affirmerais presque que cela n’est pas. Je possède une grande mémoire des physionomies ; plus je vous regarde, moins la vôtre me rappelle quelqu’un que j’aurais connu, ou seulement vu une fois ou deux.

— Alors tout est pour le mieux ! dit l’arriero, en éclatant d’un rire jovial, et changeant d’idiome ; c’est-à-dire parlant le français au lieu de l’Espagnol dont jusque-là il s’était servi ; mon déguisement est mieux réussi que je ne le supposais ; puisque j’ai pu vous tromper, monsieur le duc, vous dont je suis si bien connu, il est évident que tous autres s’y laisseront prendre.

— Qu’est-ce à dire ? s’écria M. de la Torre avec surprise, maintenant que vous parlez français, votre voix a un accent qui me frappe et rappelle à mon oreille des notes déjà entendues ; mais homme ou spectre dites-moi votre nom, car encore une fois, je ne vous reconnais pas.

L’arriero fit rouler un fauteuil auprès du duc, s’assit sans plus de façons et toujours riant :

— M. de la Torre, dit-il, je suis un de vos meilleurs amis : l’Olonnais.

— Vous l’Olonnais ! s’écria le duc au comble de l’étonnement ; c’est impossible !