Page:Aimard - Par mer et par terre : le batard.djvu/286

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torze ans que je dévore mes larmes en silence, sans me plaindre et sans récriminer ». S’il lui offrait de parler à son mari, de tenter de le lui ramener, elle souriait amèrement et répondait : « Mon père a essayé, il a échoué ; vous ne réussirez pas davantage, mon frère ». Puis elle secouait la tête et répondait, les dents serrées, les lèvres pâles et les regards affolés :

— Cet homme n’a pas de cœur ! il sait que je l’aime, et il se plaît me torturer ; il me méprise ! Et elle ajoutait avec une énergie fébrile : Mais qu’ont donc de plus que moi toutes ces femmes, pour qu’il les aime ainsi, et que moi il me délaisse ? Mon frère ! mon frère ! tout cela finira mal ; ma patience est à bout ; un jour j’éclaterai, et alors…

— S’il en est ainsi, ma sœur, dit Olivier, peut-être vaudrait-il mieux demander une séparation, que, certes, on ne vous refuserait pas.

— Moi ! demander une séparation ! quitter mon mari ! ne plus le voir !… Oh ! jamais ! jamais !…

— Mais puisqu’il ne vous aime pas ?

— Mais je l’aime, moi ! s’écria-t-elle avec un cri de lionne blessée ; je ne veux pas me séparer de lui ! Non ! J’endurerai tous les tourments de l’enfer, s’il le faut, mais je resterai près de lui toujours !… jusqu’à ce que…

— Quoi ? demanda Olivier avec inquiétude, en voyant qu’elle s’arrêtait.

— Rien ! répondit-elle avec un sourire énigmatique.

Olivier baissa la tête et se tut.

Il y eut un long silence.

La marquise regardait machinalement, et sans