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coudrier, avec un grand chapeau noir sous lequel on la devinait sourire. Elle avait l’intention de tout raconter à celui qui l’attendait ; elle pensait qu’il l’aimerait quand même et qu’il lui pardonnerait. Mais lui, savait depuis la veille qu’« il n’était pas le premier » : fou de colère, il a pris avec lui des garçons et des filles pour aller attendre Marie au rendez-vous, dans la maison inhabitée. Quand l’enfant est arrivée, on l’a déshabillée et battue, puis enfermée à clef. Les filles ont ameuté les passants.

On se presse à la fenêtre. L’enfant est blottie dans le coin le plus noir de la grande pièce vide qu’obscurcit la tombée du jour. Ils ne lui ont laissé par dérision que son chapeau. De son visage baissé, on n’aperçoit que le bout du nez. Elle tremble convulsivement comme un petit chat galeux qu’on assomme à coups de pierres.

Les hommes du café voisin sont sortis, pour venir voir ça. Monsieur Meillant, légèrement gris, est au premier rang. Il plaisante :

« Si ça continue, dit-il, tout le bourg va être là ! Mais il faudrait voir la tête que va faire sa sœur. Il faut aller la chercher.

— On y est allé, dit la grande fille qui travaille chez la couturière. Elle n’y est pas. C’est fermé.

— Allez donc chez moi. Elle doit être avec ma femme. »

Alors la grande fille s’en va vers la maison isolée où les dames sont en visite, escortée d’une bande de gamins. Elle porte sur son bras une robe salie, droite comme une blouse de nuit.

Chez Madame Meillant, les trois femmes crurent entendre une rumeur lointaine, comme celle d’un grand vent qui s’en va. Elles prêtèrent l’oreille : mais elles s’étaient si bien accoutumées, durant cette longue après-midi, à l’atmosphère de leur salon fermé, qu’elles ne purent distinguer aucun bruit, pas même le tic-tac de la pendule.

« On n’entend plus le balancier, dirent-elles. Est-ce que le mouvement est arrêté ?

— Comme il doit être tard ! nous allons partir.

— Je vais vous conduire », dit Madame Meillant.

Mais, en sortant sur le perron, elles furent comme cet homme qui, rentrant chez lui le soir, ne retrouva plus sa maison. Elles firent toutes les trois : « Ah ! » Et leur voix sonna aussi claire et aussi étrange que celle de ma mère, lorsqu’autrefois, ouvrant