Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/199

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je réforme, je redresse ou je diminue quelque élément de ma propre vie, est bien de moi aussi. Il faut même dire que ce refus de vivre naturellement et spontanément, et l’idée qu’il dépend de moi de m’accepter, de me refuser ou de me réformer, est justement ce qui achève la personne, par la conscience que j’en prends dans cette opposition, dans ce refus, dans ce jugement. Là se trouve le secret de toute investigation, même descriptive, concernant la conscience de soi ; car celui qui cède tout à fait à la peur ne sait plus qu’il a peur ; et l’on ne se connaît que dans le moment où l’on se redresse, ce que le sens vulgaire du mot conscience exprime fortement. Mais afin d’aider l’attention descriptive devant ce mouvement toujours ascensionnel, familier à l’homme le plus simple, je crois utile de marquer ici des degrés, afin de tracer comme une esquisse ou un canon de l’homme moyen, d’après quoi chacun pourra ensuite remarquer des différences et approcher un peu de l’individu. C’est la faute ordinaire des apprentis qu’ils commencent par décrire, sans avoir dressé un tableau convenable des mots que l’usage leur offre. Et le paradoxe de l’art de penser, qui est qu’il faut aller de l’idée au fait, se retrouve dans l’art d’écrire, puisqu’il faut exprimer l’individuel dans le langage commun. Mais ces maximes seront plus claires par l’application.

Je propose d’appeler humeur ce qui est proprement biologique, j’entends la forme, la vigueur, le tempérament, l’âge, et en même temps les actions du milieu qui modifient tout cela, comme climat et régime. Ceux qui y portent quelque attention sont souvent disposés à croire que l’humeur est tout l’homme ; mais je ne m’engage pas volontiers en ces chemins de dialectique, car le langage commun m’avertit qu’il y a autre chose à dire de l’homme ; et quand je dis que la volonté c’est