Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/221

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l’erreur, ou plutôt la confusion, l’incohérence, la mobilité des pensées. D’où l’on ne sort que par un décret qui est d’abord refus, doute, attente. « Supposant même de l’ordre entre des choses qui ne se précèdent point naturellement les unes les autres ». Ainsi parle Descartes.

Les prêcheurs de toute foi ont bien compris ces choses, mais sur d’autres exemples. Dès qu’il s’agit de vertu ou de perfection, ceux qui y pensent un peu ont bientôt compris que ces choses-là, qui justement ne sont point, ne sont point pensées si elles ne sont voulues, et, bien mieux, contre les leçons de l’expérience. Aussi disent-ils bien que la bonne volonté doit aider les preuves et que Dieu ne se montre qu’à ceux qui l’en prient. Mais ils ne le découvrent que par les effets extérieurs, voulant toujours un Dieu qui existe à la manière du monde, mais caché. Il est pourtant assez clair que la justice entre les hommes n’existe pas, et qu’il faut la faire. Et, par une rencontre assez ordinaire, il se trouve que le double sens du mot jugement nous instruirait assez, si nous savions lire. Mais de quelles profondeurs humaines est sorti ce troisième sens, qui lie si bien les deux autres, et d’après lequel le jugement est cette décision prompte qui n’attend point que les preuves la forcent, qui achève et ferme un contour par un décret hardi, tenant compte aussi de ce qu’on devine, de ce qui est ignoré, de ce que l’homme doit à l’homme, mais sans peur, et prenant pour soi le risque ? Ce sont des dieux d’un moment.

NOTE

Voici donc la loi suprême du jugement ; dès que l’ordre humain est pris comme objet, c’est que c’est le meilleur qui éclaire tout. Découronnez l’homme, il retombe au plus bas. Vous-même d’abord. Jugez-vous animal, et vous êtes tel ;