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déterminé, et vous êtes tel ; timide, et vous êtes tel. Aussitôt. Mais pour les autres aussi bien. Ici il apparaît en clair pourquoi l’expérience non redressée nous trompe inévitablement. C’est donc le meilleur qui nous instruit, et il faut gouverner, conseiller, instruire d’après les modèles. Rares et mélangés dans l’expérience directe ; choisis au contraire et purifiés dans l’expérience littéraire, qu’il vaudrait mieux appeler esthétique, parce que la beauté de l’expression est-ce qui nous enlève le désir et le moyen d’altérer les sentiments composés et les courageuses pensées d’un Socrate, d’un Marc-Aurèle, d’un Virgile. Car ce qui n’est point beau est livré aux médiocres qui le divisent et le recomposent à leur niveau. Mais ce qui est beau revient toujours le même, et intact ; c’est l’objet qui convient si l’on veut penser la nature humaine, toujours humiliée sans ce secours. Les grands auteurs sont donc le seul miroir où l’homme puisse se voir homme. Et l’admiration est la stricte méthode pour la formation de l’esprit.

CHAPITRE II

L’ESPRIT JUSTE

On dit un esprit juste, on ne dit pas un esprit injuste, mais ce sens est pourtant supposé par l’autre. La connaissance des choses n’est pas ce qu’il y a de plus difficile ; et Socrate osait dire que ce n’est pas ce qu’il y a de plus pressant. Je puis remarquer aujourd’hui que depuis un demi-siècle les générations se sont adaptées à un esprit strictement positif, et dominent aisément ce genre de connaissances qui nous rend maîtres des choses. L’erreur serait de croire que cette formation suffit à faire un esprit juste. L’esprit est toujours juste