Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/270

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qui force l’assentiment. Entre les deux s’agite la multitude de ces avares d’un moment, qui, sans mépriser tout à fait le droit, se repaissent surtout de possession et d’usage, se donnant ainsi une richesse, une puissance, et, pour tout dire, un droit d’apparence qui les trompe eux-mêmes. Cette illusion n’est nullement méprisée lorsqu’un paysan emprunte au delà de ses forces, et s’étourdit de travail. Je n’y vois d’aveuglement passionné que dans ce mauvais calcul des échéances et ce faux jugement réglé sur le désir et qui fait dire qu’on paiera ; c’est trop compter sur soi ; mais qui ne comprend cette allégresse à la perspective d’une suite de travaux que l’on sait bien faire, et des beaux jours complices ? Celui-là promet de soi, et paiera de soi ; hélas, il ne paiera que trop.

Je viens à celui qui ne paie jamais, et qui promet tout, par le désir d’avoir. Ici est l’avarice, à proprement parler, nuisible, ridicule et malheureuse. Il faut le voir, visitant cette maison de campagne qui n’est pas payée, qui ne peut l’être, et la faisant bien clore ; car c’est le droit qui plaît au prodigue ; c’est le droit qu’il étale ; et c’est justement ce qu’il a le moins. Saisissez la différence entre un droit bien solide et l’apparence d’un droit. Le riche ne cherche pas à paraître ; mais l’emprunteur vit de paraître ; il veut une propriété qui se jette aux yeux ; c’est pourquoi il dépense. On oublie trop, en considérant le prodigue, que dépenser est une manière d’acquérir. Ne vous étonnez point si l’emprunteur dépense ; l’or n’est à lui que par cet usage, nullement par réflexion, car c’est le prêteur qui a droit. Ainsi le fol emprunteur est condamné à la folle dépense. On a souvent remarqué que la prodigalité folle se guérit par la richesse réelle et solide. On comprend pourquoi. Remarquez comment tout fortifie cette illusion de l’emprunteur. Son droit n’est pas contesté par ceux