Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE II

DE LA POLITESSE

On s’étonne quelquefois que les barbares soient attachés aux formes de la politesse cérémonieuse ; mais cela ne prouve point qu’ils n’aient pas d’impulsions brutales, au contraire. La paix armée n’est jamais maintenue que si cette dangereuse puissance d’exprimer est réglée jusqu’au détail ; car même ce qui n’a point de sens est déjà une menace, et vaut l’insulte ; de là cette politesse du diplomate semblable à celle du barbare. Trouvant ici la politesse à sa source, j’observe qu’elle consiste moins à cacher une pensée ou une intention qu’à régler les gestes et les mouvements de physionomie qui signifient sans qu’on le veuille, et sans qu’on sache même quoi. Il faut remarquer aussi que la défiance à l’égard de soi et la lutte contre ces réactions naturelles des muscles donneraient une très mauvaise politesse, car cette lutte se traduit aussi par des signes, comme raideur et rougeur, où chacun sait deviner la dissimulation, ce qui n’éveille pas moins les passions que ne ferait une insulte en forme. La politesse est donc comme une gymnastique de l’expression, qui conduit à ne faire jamais comprendre que ce que l’on veut. La politesse varie d’une société à l’autre comme le langage ; mais le calme et la mesure sont politesse en tout pays.

Il est à remarquer que politesse n’est pas bienveillance. On peut être désagréable ou méchant sans être impoli ; il est même impossible que l’on soit impoli volontairement. L’impolitesse consiste à être méchant, en effet, sans l’avoir voulu, comme aussi à exprimer