J’ai assez mis en défiance contre cette observation des caractères, en vue de les dominer ; ce ne sont que des chimères, mais qui malheureusement prennent corps par le décret de l’observateur et de l’observé. « Il est ainsi », décret funeste auquel répond l’autre : « Je suis ainsi » ; mais ce n’est jamais vrai. Il y a toujours des qualités aimables en germe, et la bonne humeur plaît sous tous costumes. Et qu’est-ce donc que l’amour vrai, si ce n’est l’art de deviner le meilleur ? Seulement cet amour vrai est voulu ; c’est ce que repousse la doctrine commune sur la fatalité des passions ; chacun cherche à deviner, par des signes, l’avenir de sa vie intérieure ; et par là elle se trouve livrée aux actions extérieures. L’amour, la jalousie, le bonheur, la peine, l’ennui sont reçus comme la pluie et la grêle. Ainsi on donne charge à l’autre, et à tous les hasards, de sa propre constance ; on la constate comme un fait de nature. Imaginez un cycliste qui se demande s’il va aller au fossé. Étrange état, où l’on se demande ce qu’on va faire, sans y mettre du sien. C’est l’état des fous. Il est commun dans le mariage, parce que les premières émotions de l’amour viennent en effet du dehors. Ainsi, pour tous les arts, le plaisir vient le premier ; mais ce n’est pas par le plaisir seulement que l’on devient sculpteur, peintre ou musicien, c’est par le travail. Et le proverbe dit bien que toutes les belles choses sont difficiles. C’est un travail que d’être heureux, et en ménage aussi.
Tout travail difficile veut la fidélité. Dans le génie il y a plus d’une condition, mais certainement un serment à soi-même, et que l’on tient. Comme l’inventeur ; il se jure à lui-même d’arriver à ses fins. Et le sage aussi se jure à lui-même d’être sage ; car il n’attend point que la sagesse lui soit apportée comme sur un plat, et l’on se moque des enfants qui veulent être musiciens tout de suite. Mais on ne veut point de serments