Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/348

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pour une chose aussi facile que d’être heureux par celui qu’on aime. Heureusement la sagesse commune, qui se règle sur les effets, veut un serment aussi aux premiers moments du bonheur. Or, un serment n’est pas une prophétie ; un serment signifie que Je veux et que je ferai. À quoi l’on dit : « Je ne puis promettre de l’amour », et cela est vrai des premières émotions, aussi n’a-t-on jamais à les promettre, mais pour l’amour et le bonheur pleins, non seulement on peut jurer, mais il faut jurer, comme pour apprendre la musique. Aussi faut-il bien l’entendre, et ne pas se croire enchaîné par son serment ; c’est bien plutôt la destinée qui est enchaînée et domptée par le serment.

Si donc il y a des témoins et une contrainte extérieure comme la coutume le veut pour tous serments, et comme celui qui jure en exige lui-même par une vue juste des pièges, il faut prendre ces liens extérieurs comme des secours à soi-même contre les événements. Jamais le serment n’entrave le libre arbitre ; au contraire il nous met en demeure d’en user ; car on ne jure point d’être, on jure de faire et de vouloir. Tout serment est contre les passions. C’est pourquoi la publicité du mariage, et les liens nouveaux de parenté voulue et d’amitié qu’il entraîne, ne sont que pour aider à accomplir l’œuvre voulue. Sans compter que le savoir-vivre y gagne ; car, sans attendre un vrai bonheur de tous ceux que l’on voit, il faut toujours en venir à s’en accommoder. Au reste, il est impossible d’écrire mieux sur le mariage qu’Auguste Comte n’a fait ; et je renvoie le lecteur à sa Politique.

J’appuierais seulement sur les contraintes de politesse, si imprudemment méconnues par les jeunes amants. Quand on vit en naïveté avec les passions, et qu’on est en état d’éprouver, par un si étroit voisinage, les moindres mouvements d’humeur de celui dont on