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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/122

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

blessé mal guéri, mais plein de résolution. Je remontais jusqu’à l’Affaire Dreyfus, souvenir pour moi, légende pour lui. Clémenceau portait déjà le chapeau sur l’oreille et sortait du Palais de justice à pied et les mains dans ses poches, à travers une foule disposée à l’assommer. Mais la foule s’ouvrait devant lui, car le courage plaît. Légende ; mais qui s’accorde avec la vie entière de l’homme. Décidé, imperturbable, toujours payant de sa personne, toujours en pointe d’avant-garde.

« Mais, dit le blessé, je n’aime pas ces casse-cou au pouvoir ; c’est nous qui payons pour eux. » Il est vrai qu’en une de ces affaires marocaines qui furent la suite d’Agadir, il fut intraitable devant les réclamations allemandes, et jusqu’à effrayer ses amis. Mais faisons aussi la part de la chance. Il n’eut pas à signer le décret de mobilisation. Par un secret instinct, dont je pourrais rendre compte, dont je rendrai compte quelque jour, je ne crains pas tant un risque-tout ; je crains plutôt les bavards, les vaniteux et les poltrons.

« Je fais la guerre. » C’est le mot d’un homme qui la trouve engagée, et qui délibère seulement sur les moyens, comme font les généraux, mais aussi qui y va voir, et de près, ce que les généraux ne faisaient pas toujours. C’est pourquoi il ne fut point reçu à coups de pierre, comme il arriva à d’autres. Et, pour la légende, il fait figure de général en veston et petit chapeau. Les détails sont inventés sans doute ; mais la Légende est droite ; et l’homme, par le bien et par le mal, la peut porter. Ces choses sont bonnes à célébrer. Ne craignons point de louer le vrai courage, et même de le grandir selon le mouvement Épique.

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