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L’ESPACE

en partant de l’apparence est sans réalité.

Cela nous conduit à une remarque qui importe sur l’espace, que nous voyons naître dans l’apparition du cube que je disais. Je dis que nous voyons naître ; car l’espace n’est pas un vêtement étalé recouvrant les choses ; il est toujours en mouvement, toujours naissant et périssant ; il a la marque de l’esprit. Lagneau m’a fait comprendre ces choses, et il est juste que le lecteur de Kant d’aujourd’hui profite de ces vigoureuses réflexions. Si vous voulez bien entendre l’espace, considérez la distance, surtout en profondeur, et qui évidemment n’est rien ; car elle n’appartient pas à la chose éloignée ; elle n’est qu’un jugement impliqué dans le monde que nous voyons, et vivifié à chaque instant par le doute. Voilà l’espace insaisissable en soi. Je me souviens qu’un brillant élève du Lycée Condorcet répétait au sujet de l’espace : « Mais il n’existe pas ! » Il avait raison, et il ne faut point compter qu’on philosophera à bon marché et qu’on usera de l’espace comme d’une monnaie fiduciaire, à cours forcé. Le mouvement philosophique d’une époque est