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PHILOSOPHIE DE KANT

effet de la Critique, c’est de nous rendre difficiles à l’égard de nous-même, et en somme de ne pas attendre la récompense avant l’action. Par ce genre de méditation seulement, la philosophie peut égaler la religion, ou plutôt substituer à la religion vulgaire la vraie religion et aux faux dieux le vrai Dieu. Ainsi se fait l’épuration de nos pensées, si sévèrement commencée dans la première Critique. Kant n’a pas l’opinion que le devoir soit facile ni que le salut soit facile. Là se trouve son dogme ; il a découvert l’esprit, il prétend ne pas le perdre. Mais, si la révolution est faite, il croit tout perdu, car ce qui est fait n’est jamais qu’un équilibre de matière. On reconnaît ici le fond même de l’esprit Jacobin, qui est aux yeux de Kant comme la Réforme de l’Église Politique. Cet esprit rebelle au contentement de soi, je l’ai retrouvé dans mes héros, dans Lagneau et dans Jules Lachelier. Toutefois je n’avais pu pénétrer jusqu’à la critique de soi, qui fait de l’âme même un grand doute et une grande modestie. Lagneau, à ce que j’ai vu souvent, poussait la modestie jusqu’à la colère, ce qui