Aller au contenu

Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Aussi que les plus grands maux viennent de l’homme, mais que la menace humaine, continuellement perçue pendant des mois, n’affaiblit nullement cette amitié universelle, mais au contraire, à ce que j’ai éprouvé, la fortifie.

Ces choses ne vont pas ensemble. En ton abri, tu as eu le loisir de penser. Allons, sérieusement qu’as-tu appris à la guerre ?

J’ai appris que tout pouvoir pense continuellement à se conserver, à s’affirmer, à s’étendre, et que cette passion de gouverner est sans doute la source de tous les maux humains. Non que l’esclave en devienne plus mauvais ; tout au contraire, il apprend à dominer les vifs mouvements de l’orgueil, et il s’approche malgré lui de l’heureuse égalité. Mais c’est le maître qui devient méchant par l’exercice du pouvoir absolu. Méchant d’abord parce qu’il prend ses inférieurs comme instruments et outils. Méchant enfin par la colère, qui lui gâte l’estomac. Et selon mon opinion tous les sentiments guerriers viennent d’ambition, non de haine ; jusqu’au plus haut degré du pouvoir, qui se trouverait être bientôt le plus haut degré de dépendance, si la guerre et la menace de guerre n’imposaient une obéissance sans discussion. En sorte que tout pouvoir aime la guerre, la cherche, l’annonce et la prolonge, par un instinct sûr et par une prédilection qui lui rend toute sagesse odieuse. Autrefois, je voulais conclure, trop vite, qu’il faut être assuré de la paix pour diminuer les pouvoirs. Maintenant, mieux instruit par l’expérience de l’esclave, je dis qu’il faut réduire énergiquement les pouvoirs de toute espèce, quels que soient les inconvénients secondaires, si l’on veut la Paix.