mieux de leurs rivaux ; ils n’en seraient point jaloux. C’est une absurdité de l’envie de supposer, en celui qui arrive, une nullité totale. On n’est envieux que de ceux qu’on connaît mal. Dans les classes il n’y a point d’envie, parce qu’on n’a point la volonté de travailler comme celui qui est premier en histoire. En somme, nous savons tous que tout est difficile. Mais, dans le mouvement de l’envie, nous nous disons : « Il ne sait rien ; il n’a rien fait, et alors pourquoi pas moi ? » J’ai observé que souvent la mère ou l’épouse ont plus d’envie que l’homme qui est en cause ; c’est qu’elles ne connaissent pas la question. Elles disent : « N’es-tu pas meilleur avocat que lui ? » sans bien savoir ce que c’est qu’un bon avocat. Je prends cet exemple parce que j’ai fini par comprendre qu’un bon avocat c’est, premièrement, un homme qui fait mille démarches sans jamais oublier l’heure ni l’occasion. L’éloquence est ici presque sans valeur. Seulement l’envieux s’imagine éloquent, et surtout applaudi. En quoi il se trompe. Car encore une fois l’éloquence s’apprend, et non pas en un jour. La pensée calmante contre ces ridicules mouvements est de se dire au contraire : « Il s’est ennuyé comme je n’aurais jamais su m’ennuyer. Il a sollicité comme je ne veux point solliciter. Il a lu deux cents bouquins que j’ignore ». Chacun a connu de ces envieux qui courent demander toutes les places et n’en obtiennent jamais aucune. Ils n’y sont point propres ; ils n’y réussiraient point. Secrétaire général de n’importe quoi, ou même directeur de n’importe quoi, voilà leur projet et leur ambition. Or celui qui est
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