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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/117

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XXXIII

DU PRESTIGE

Selon la structure de notre langue, le prestige est un effet d’étranglement, ou une sorte d’étreinte à distance, par la seule vue. L’officier produit cet effet sur l’homme de troupe par des moyens indirects. Le troupier est dressé à se raidir et à s’étrangler lui-même à la seule vue des galons. L’orateur produit aussi par son art cette attention haletante et sans pensée. L’applaudissement et l’acclamation sont des réactions physiologiques, car on ne se repose pas toujours sur le même pied. Les prestiges sont des faits surprenants qui arrêtent le spectateur dans l’attitude de l’admiration béante. Il est clair que la vraie admiration est d’autre qualité, et que l’heure du prestige n’est pas celle du jugement. Je décris, je me garde de condamner ; car celui qui commande, et pour qui ce n’est pas le temps d’instruire, a besoin de prestige. Par ce moyen il gagne temps sur des objections et discussions qu’il a résolu d’écarter. Et disons aussi que le prestige est utile au commencement, même pour celui qui ne veut qu’instruire, car le jeune âge est remuant. Le silence est d’abord un effet de prestige. Je conseille au professeur, et à tous ceux qui veulent attention, d’exiger d’entrée un mouvement vif, comme de se lever, suivi d’immo-

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