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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/182

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LII

L’AMOUR DE LA VÉRITÉ

Étant admis qu’il faut dire le vrai, il s’agit premièrement de saisir le vrai, de le chercher, de l’éprouver ; car on est bien loin de l’avoir toujours pur, et jamais on ne l’a tout. La règle de ne rien cacher devant les juges est évidemment de police. Dans le fait, il s’agit seulement pour le témoin de parler sans retenue de choses qu’il sait mal ; le juge se réserve d’en filtrer le vrai, s’il peut. Et sans doute le devoir du témoin est de s’ouvrir en toute simplicité, et selon ses premières impressions ; par exemple une parole mal entendue, il faudrait l’imiter le mieux possible, sans s’occuper du sens ; mais personne ne fait ainsi ; le meilleur témoin est celui qui laisse couler ses confidences, mêlant le fait, l’opinion, le vraisemblable, le probable. Vouloir qu’il dise le vrai, c’est lui demander plus qu’il ne peut ; car le vrai d’une action, en toute rigueur, et avec tous les tenants et rameaux, nul ne le sait jamais. Si l’on invoque ici l’amour du vrai tel qu’on le suppose dans le savant, on invoque mal. Un homme scrupuleux dira fort peu. Le devoir d’aider la justice parle assez fort ; mais la crainte de nuire sans le vouloir et par abondance de paroles est un sentiment très honorable ; et l’accusé est présumé innocent.

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