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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/183

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L’AMOUR DE LA VÉRITÉ

Il me semble que l’amour de la vérité doit toujours nous mettre en garde contre un certain genre de franchise qui est de premier mouvement. Il y a une forte raison de ne pas dire à un ami ce qu’on pense de lui dans le moment. Ce qu’on pense est-il vrai ? Est-il seulement vrai qu’on le pense ? Toute pensée veut examen. Qu’on l’ait vive, évidente, convaincante, ce n’est pas encore signe qu’on doit la dire, ni même qu’on puisse la dire. Aussi la franchise est presque toujours d’humeur, et bien rarement de réflexion. Il est proverbial que l’on regrette plutôt d’avoir parlé que de s’être tu. Toutes les grandes affaires veulent le secret. Un commerçant ne publie pas ses embarras ; ce serait enlever tout remède. Par les mêmes causes il faut que la diplomatie soit secrète, car les peuples sauteraient à chaque mot. Déclame qui voudra ; il est pourtant assez clair que l’état des conversations politiques est toujours bien loin d’exprimer la vérité d’une situation. Par exemple, la situation financière sur la planète n’est connue qu’imparfaitement des plus habiles ; ils n’ont guère à cacher que des erreurs. Sans compter que tout change d’un jour à l’autre. Dans le fait on parle trop.

Les choses humaines ne sont ni simples ni faciles. Souvent ce qui est incertain devient vrai par cela seul qu’on le dit ; ainsi une faillite ; ainsi la guerre. Au rebours la paix sera si on l’annonce. Il faudrait donc parler plutôt selon le bien que selon le vrai. Cet acteur parla bien, qui, sur une odeur de roussi qui déjà répandait la panique, assura au public qu’il

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