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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/194

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LV

L’OMBRAGEUX ESPRIT

La pensée est libre ou elle n’est pas. Ce n’est pas penser que croire et répéter. Il faut tout examiner, et, dans d’heureux moments ne tenir à rien. Représentez-vous un arbitre qui entend les plaidoiries ; il est tout à fait en défiance à l’égard de ses propres opinions. Cette liberté prépare le jugement. J’imagine que Briand ne croyait rien ; je veux dire qu’il avait effacé les empreintes et cicatrices qui font qu’à point nommé, on pousse toujours le même cri, comme font les coucous d’horloge ; aussi ce n’était pas par mécanisme d’horloge qu’il croyait à la paix ; il y croyait parce qu’il le voulait. Le vrai nom de cette croyance volontaire, c’est la foi. Quand l’esprit est ainsi aéré et disponible, ne croyez pas qu’il se pliera à tout ; c’est justement le contraire et l’expérience fait voir que les esprits non contraints ne cèdent jamais. Les autres, les obstinés, les fanatiques, que je voudrais nommer esprits marqués, cèdent toujours ; ils cèdent, dirai-je, inébranlablement. Aussi les entendez-vous crier à tous les carrefours.

La pensée libre a certainement ses réserves, ses secrets, ses refuges. En la comparant aux martyrs du cirque, je dirais que la pensée libre ne souhaite nullement d’être livrée aux bêtes. Pourquoi ? C’est

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