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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/255

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LXXIII

LA CHANCE

Le commun langage offre des nuances admirables. Lorsqu’on dit d’un homme qu’il a du bonheur, on n’entend pas qu’il est heureux parce qu’il réussit, mais plutôt qu’il réussit parce qu’il est heureux. Cet autre nom de la chance éclaire comme il faut une idée qui nous occupe tous, et que nous n’arrivons pas aisément à débrouiller. La chance, dans les jeux de hasard, est une notion absurde, par cette remarque décisive que le coup suivant ne dépend pas du précédent. Mais aussi l’idée de chance, ou de bonheur, n’est point naturelle dans les jeux de hasard ; elle y est transportée de la vie même, et des affaires réelles, dans lesquelles elle se montre toujours ; seulement, comme nous aimons à croire que nos bonheurs, et surtout nos malheurs, viennent de rencontre, c’est pour cela que nous croyons interroger le sort dans les jeux de pure rencontre.

Revenons à ce merveilleux langage, où toute sagesse est enfermée. Notre chance, c’est notre bonheur. Ce qui fait les suites favorables, dans les affaires réelles, c’est premièrement un visage qui porte la confiance, et qui la jette aux yeux. La vérité des présages se trouve toute rassemblée dans cette contagion d’homme à homme, dont les effets sem-

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