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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/275

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L’ART DE TRAVAILLER

l’ordre matériel et du rangement préalable. Or, il n’y a rien de préalable à la mise en train. Les soucis que l’on veut se donner, et qu’on semble chercher dans des papiers vingt fois remués, ce sont des prétextes de ce qu’on peut appeler la paresse occupée. Au lieu qu’à sauter au milieu du travail qu’on s’est fixé pour une heure fixée, on trouve aussitôt une admirable vacance de l’esprit, une disponibilité pleine d’avenir et un total oubli des choses petites et secondaires. Et tel est le bonheur de celui qui travaille en sous-ordre, comme Berthier sous Napoléon. Les travaux urgents ne cessant de se succéder, on est toujours tout entier à un seul problème, transporter par exemple une division d’ici à là, rédiger tous les ordres, sans rien oublier. Devant ces précieuses tâches, on n’a point le temps de se soucier ; il faut résoudre et encore résoudre. Mais si l’on est maître, on n’a plus cette ressource de recevoir des ordres et de les traduire selon la technique de la chose ; il faut alors se donner des ordres à soi-même. Et toutefois c’est encore une faute que de vouloir tout faire ; il faut avoir choisi un Berthier, qui peut être un simple cycliste. Le maréchal Pétain disait que s’il avait à diriger une affaire, n’importe laquelle, un journal ou une épicerie, il commencerait par choisir un état-major. Il faut reconnaître que les militaires savent commander, et choisir les hommes ; cela vient du pouvoir absolu qu’ils exercent, et de l’abondance aussi des ressources ; car de même qu’ils ont six chevaux où deux suffiraient, ils ont toujours trois hommes pour un. Aussi je ne