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LXXIX

L’ART DE TRAVAILLER

Un des moyens de dominer une tâche qui pourrait être écrasante, c’est d’ajourner, c’est-à-dire de ne penser qu’à une chose à la fois et de ne penser à chaque chose qu’au moment qu’on a fixé pour s’en occuper. C’est dire qu’il faut avoir un emploi du temps et ne jamais s’en écarter. Mais cette règle est une des épreuves les plus sévères de la volonté. Car à peine un emploi du temps est-il fixé que tous les hasards du monde, choses et gens, semblent s’entendre pour le démolir. Cette apparence de questions urgentes qui montent de tous côtés à l’assaut de l’esprit, il faut la vaincre, en se fixant une heure et un temps pour les choses imprévues. Cela revient à ne pas se laisser mettre en pièces par les sollicitations. Seulement alors, il faut savoir ne pas penser à ce qui veut nous importuner. De la même manière qu’il est sage d’appeler au téléphone et de ne pas se laisser appeler, de même il faut suivre son ordre du temps, et ignorer les gens pressés.

Le travail est ce qui chasse toutes ces mouches. Aussi ne faut-il jamais penser sans travailler. D’où une autre règle, que j’ai souvent signalée, c’est qu’il faut tendre à réduire à zéro la mise en train. Ce qui retarde la mise en train, c’est souvent un souci de