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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/57

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DISCIPLINER L’IMAGINATION

ont tous presque la même composition et les mêmes vertus ; et en ajoutant encore, ce qui est de médecine, que le plaisir de goûter en mangeant est lui-même bon pour la santé. Cette idée peut faire excès, comme toutes ; c’est qu’aucune idée n’est vraie seule. Car il peut arriver que s’enfuir soit le plus sage moyen ; mais si cette idée est tyrannique, elle enlève le courage, ce qui est très mauvais par d’autres effets. Et, si vous avez un procès, n’oubliez pas de plaider pour l’autre. J’ai observé, en ceux qui suivent un régime par peur, que cette peur même fait qu’ils sont malades s’ils se souviennent d’avoir mangé, par entraînement, quelque mets qu’ils croient leur être nuisible ; on sait que la peur est une maladie dont les attaques nous prennent au-dessous du diaphragme. Je conclus qu’il faut une certaine indifférence à l’égard de ces choses. D’autant que l’idée préoccupante d’une dépendance où nous serions nous donne un désespoir de nous-mêmes qui est tout mauvais. Le danger de la situation humaine est que notre libre arbitre ne dépend que de nous, et qu’ainsi le secours extérieur risque de nous faire oublier le principal de nous. Certes un gourmand est méprisable ; mais combattre la gourmandise par la peur, c’est être au-dessous. C’est au-dessus qu’il faut être. Le roi peut être tué une fois par la conspiration ; mais le soupçon tue le tyran vingt fois ; c’est lui-même qui manie le poignard.

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