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Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/182

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PROPOS SUR LE BONHEUR

l’espoir que l’on a. Il faudrait compter sur la nature, voir l’avenir en beau, et croire que la vie triomphera. C’est plus facile qu’on ne croit, parce que c’est naturel. Tout vivant croit que la vie triomphera, sans cela il mourrait tout de suite. Cette force de vie vous fera bientôt oublier le pauvre homme ; eh bien, c’est cette force de vie qu’il faudrait lui donner. Réellement, il faudrait n’avoir point trop pitié de lui. Non pas être dur et insensible. Mais faire voir une amitié joyeuse. Nul n’aime inspirer la pitié ; et si un malade voit qu’il n’éteint pas la joie d’un homme bon, le voilà soulevé et réconforté. La confiance est un élixir merveilleux.

Nous sommes empoisonnés de religion. Nous sommes habitués à voir des curés qui sont à guetter la faiblesse et la souffrance humaines, afin d’achever les mourants d’un coup de sermon qui fera réfléchir les autres. Je hais cette éloquence de croque-mort. Il faut prêcher sur la vie, non sur la mort ; répandre l’espoir, non la crainte ; et cultiver en commun la joie, vrai trésor humain. C’est le secret des grands sages, et ce sera la lumière de demain. Les passions sont tristes. La haine est triste. La joie tuera les passions et la haine. Mais commençons par nous dire que la tristesse n’est jamais ni noble, ni belle, ni utile.

5 octobre 1909.