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CHAPITRE VI

DE LA PUISSANCE PROPRE DE L’OBJET

Il est à propos de méditer maintenant sur une maxime d’Auguste Comte, philosophe bien plus profond qu’on ne dit, et trop peu lu, quoiqu’il ne manque pas de pieux disciples en tous pays. « Régler le dedans sur le dehors », cette parole est d’un homme qui a éprouvé plus d’une fois, par de cruelles expériences, le tumulte d’une âme forte, mais réduite, par la fatigue des sens investigateurs, à se régler sur les mouvements du corps seulement. Car ce n’est pas assez que ce monde inflexible nous tienne de toutes parts ; il s’en faut bien qu’il règle de lui-même la pensée naturelle. On sait que longtemps les astres eux-mêmes furent chargés d’amour, d’espérance, de crainte ; et ces puissantes liaisons en de tels objets n’apportent la sérénité du sentiment composé qu’autant que leur ordre impartial est d’abord perçu. L’ordre des choses plus proches est encore plus caché, surtout pour le spectateur oisif, qui ne trouve souvent occasion, dans la vue des choses, qu’à poursuivre des rêveries diffuses, inconsistantes, et bientôt perdues dans un cercle de discours mécaniques. C’est pourquoi, faute d’une longue éducation reçue des poètes et des peintres, le spectacle de l’univers arrive