Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
système des beaux-arts

rarement à nous délivrer de cette agitation stérile qui est la cause ordinaire de l’ennui.

À quoi remédie le métier ; car notre action rencontre l’ordre inflexible, et même le fait apparaître. Il y a plus d’ordre, et plus visible, dans des champs cultivés que dans la nature libre ; mais ici la variété des causes entraîne encore à des espérances sans bornes, ou à des craintes informes. L’artisan, qu’il soit potier, menuisier, ou maçon, fait paraître un objet mieux circonscrit, capable de terminer les fictions. En ce sens, il y a quelque chose d’esthétique en toute œuvre finie et durable, et quelque bonheur d’artiste dans n’importe quel travail d’artisan. Il faut aussi remarquer que ce repos et cette assurance de l’esprit retrouvant la forme fidèle et invariable, se fortifie par tous les signes du travail et de la résistance ; en ce sens la trace de l’outil dans la pierre, dans un bois dur, dans le fer, est déjà un ornement ; et l’œil retrouvera toujours, comme un des signes de la beauté, cette puissance de l’objet contre le changement, manifeste encore dans l’usure et même dans les débris des choses durables. En revanche les signes même les moins frappants d’une matière flexible, et qui cède au lieu de s’user, détruisent toujours l’effet des ornements, quand ils seraient pris des meilleurs modèles.

Il est remarquable que la contemplation de la nature ordonnée, lorsqu’un long détour de métiers et de mesures l’eut assez préparée, dut longtemps se soutenir par le rythme poétique, qui contribuait de son côté, et plus énergiquement, à terminer toutes les divagations, en fixant les termes par une loi. Peut-être aperçoit-on déjà pourquoi la nature n’est réellement belle que dans des circonstances favorables, pour un esprit vigoureux, et par l’effet d’un progrès et d’une diffusion des connaissances qui fixent l’esprit au moins par préjugé et chassent les dieux agrestes.

S’irriter parce que les choses ne cèdent pas aux désirs, c’est le moment puéril de la pensée. L’expérience fait promptement connaître que l’indétermi-