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DES DANSES GUERRIÈRES

est heureux d’être quelque chose et partie de quelque chose. Et en action, non en repos ou spectacle. Aussi il est plaisant de remarquer comme cette parure si naturelle embellit les choses laides et viles, de bas calculs, de lâches ambitions, dès que les discours mêlent tout. C’est pourquoi il faut regarder aux racines et déchausser l’homme avec précaution ; car personne ne pense assez que les racines ressemblent à l’arbre ; ainsi la vertu est comme l’image cachée de l’homme. À ce paquet de muscles tout se termine.

Peut-être faut-il remonter jusqu’à la timidité même pour trouver l’origine du vrai courage. Car ce n’est pas peu de chose que de montrer le corps humain et le visage humain à des yeux humains ; c’est parler haut dans une crypte ; trop de puissance de soi sur les autres, et des autres sur soi ; trop de ricochets. Heureux celui qui développe son action comme une belle guirlande. Ce bonheur est dans toute danse et la danse n’est au fond qu’une politesse, comme les quadrilles le montrent bien. Mais la manœuvre militaire enferme la plus haute politesse, par la force des passions et par l’ordre et la difficulté des actions. Ce contraste est saisissant dans les danses guerrières les plus libres, à condition que l’ordre s’y retrouve. Car l’ordre sans désordre est sans matière ; et qui ne dompte que des idées ne dompte rien ; de là vient qu’en toute chose le beau achève le vrai. Après cela on ne s’étonnera pas que le beau soit comme le roi de la morale ; aussi les Grecs n’avaient-ils pas d’autre mot plus fort que « la convenance » pour désigner ce qui est honorable et même sublime. Ce que la danse des poignards exprime assez. Mais nous venons aux jeux de la force où la foule est immobile et regarde, et cela appartient à d’autres chapitres.