Page:Albalat - Le Mal d’écrire et le roman contemporain.djvu/240

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sa physionomie passionnelle comme nous avons dégagé sa physionomie littéraire.

Nous n’aurons pas besoin pour cela de documents inédits. On a fait depuis quelque temps un si étrange abus de ces paperasses, que la critique peut considérer comme une bonne fortune de pouvoir s’en priver. C’est dans l’œuvre seule de Chateaubriand que nous prendrons les éléments de cette décomposition psychologique. Le rapprochement des textes, l’examen de l’autobiographie dissimulée derrière la fantaisie littéraire, les conjectures et les aveux contrôlés par les renseignements qu’on a publiés sur lui, tout cela nous suffira pour découvrir la raison d’un état d’âme qui semble à première vue inadmissible. Un artiste a beau se dérober dans son œuvre, on lit son cœur à travers ses lignes, et la critique discerne sa personnalité aussi sûrement que l’oreille du musicien distingue la note dominante d’une symphonie. En s’efforçant de ne pas se trahir dans ses Mémoires, Chateaubriand ne nous empêchera pas de deviner ce qu’il a caché, car il a voilé ses fautes par des réticences plus significatives que des aveux. Rien de plus frappant que le silence qu’il a gardé dans ses six volumes de confession sur ses liaisons amoureuses, au sujet desquelles on n’ignore presque plus rien aujourd’hui. Comment ne pas s’étonner qu’il se soit interdit de raconter la seule chose qui ait eu pour lui de l’importance, au point de lui faire dire peu de temps avant sa mort : « Je ne re-