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DE LA PEINTURE

que Cassandre, un des généraux d’Alexandre, comme il regardait une image de feu son maître, dans laquelle il reconnaissait la majesté royale, se prit à trembler de tout son corps ; et qu’Agésilas, Lacédémonien, se trouvant trop laid, refusa de laisser son portrait à la postérité, ne permettant ni qu’on le peignît, ni qu’on le sculptât. C’est qu’en effet, les visages des morts mènent pour ainsi dire une vie prolongée par la peinture.

Mais, de ce que la peinture exprima les visages des dieux, objet de la vénération des peuples, on la regarda comme un des plus grands dons faits aux mortels. En effet, elle a rendu les plus grands services à la piété qui nous rattache aux immortels, et à la retenue des âmes dans les liens d’une religion inaltérée.

Phidias exécuta, en Élide, un Jupiter dont la beauté n’ajouta pas médiocrement au culte en vigueur. Mais ce que la peinture apporte aux jouissances honnêtes de l’âme et ce qu’elle ajoute à la splendeur des choses, nous le pouvons voir de reste, principalement en ceci, qu’il n’est d’objet si précieux que la peinture, par sa présence, ne rende plus précieux encore et plus important. L’ivoire, les gemmes et autres objets de prix gagnent encore au contact du peintre. L’or lui-même, travaillé par l’art de la peinture, a plus de valeur qu’à l’état de simple métal. Il n’est pas jusqu’au plomb, le plus vil des métaux, qui, transformé en une effigie quelconque sous les doigts d’un Phidias ou d’un Praxitèle, n’acquît un prix bien supérieur à celui de l’argent brut et non travaillé. Zeuxis avait cette