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LE VINGT-DEUX FÉVRIER.

uniforme. Ils étaient tous là : Lafayette, Kosciusko, Rochambeau et leurs compagnons, et ils semblaient on ne peut plus fiers de leur épée. On joua une marche triomphale. Cornwallis s’avança pâle, mais résigné. Il tendit son épée à Washington et resta immobile et les yeux baissés, tandis que son armée défilait en jetant ses armes aux pieds du vainqueur.

Cette scène faisait le bonheur des acteurs. Ils avaient emprunté tous les fusils de la ville et ne se lassaient pas de passer par une porte et de revenir par l’autre, ce qui finissait par faire un si grand nombre de vaincus que bientôt le héros fut à moitié caché par les armes amoncelées devant lui. La scène fut bissée. Les acteurs l’auraient volontiers recommencée plusieurs fois, mais Ralph donna l’ordre formel de baisser le rideau et de passer à la scène suivante.

Cet épisode, qu’on avait adroitement placé entre deux tableaux très brillants, prouvait que le héros avait dû payer cher sa gloire. Les feux de la rampe étaient éteints ; la scène, d’un aspect lugubre, représentait une armée campée dans les neiges. Sur le sol glacé étaient couchés des soldats hâves et épuisés. Il n’y avait point de feu, point de traces de repas ; leurs habits étaient en lambeaux, leurs souliers déchirés. Rien pour les couvrir, pas même des couvertures. Une sentinelle, les pieds entourés de linges tachés de sang, et la figure couverte de farine, grignotait une croûte de pain desséchée en se frottant les mains pour se réchauffer. Dans une tente, à l’autre extrémité du théâtre, on voyait un homme assis sur un tronc d’arbre. À la lueur d’une chandelle posée dans une bouteille, il étudiait une carte étendue sur ses