laquelle il s’expose. Du reste, ce beau vers[1], si l’on veut savoir d’où il vient, est tiré d’une diablerie inédite sur les croisades et les Lombards, qui bientôt ne sera plus inédite et fera un beau bruit ; et je l’ai pris parce qu’il me venait à propos, et je dis où je l’ai pris, pour ne pas me parer du bien des autres, sans vouloir non plus faire supposer que ce soit ici un artifice pour faire savoir que l’auteur de cette diablerie et moi sommes comme deux frères, et que je fouille à mon gré dans ses manuscrits.
L’autre pensée qui travaillait l’esprit de don Rodrigo était de trouver un moyen pour que Renzo ne pût plus revenir près de Lucia ni mettre le pied dans le pays ; et, dans cette vue, il cherchait s’il ne pourrait pas faire répandre des bruits de menaces et d’embûches qui, arrivant à l’oreille du jeune homme par quelqu’un de ses amis, lui ôteraient l’envie de retourner dans ces contrées. Il lui semblait cependant ensuite que le plus sûr serait, si c’était possible, de le faire expulser de l’État, et, pour y réussir, il voyait que la justice le servirait mieux que la force. On pourrait, par exemple, donner une certaine couleur à la tentative faite dans la maison curiale, la dépeindre comme une agression, un acte séditieux, et, par le moyen du docteur, faire entendre au podestat que c’était le cas de lancer contre Renzo un bon décret de prise de corps. Mais il sentit qu’il ne lui convenait pas de remuer cette vilaine affaire ; et, sans rester plus longtemps à se creuser le cerveau, il résolut de s’ouvrir au docteur Azzecca-Garbugli, autant que c’était nécessaire pour lui faire comprendre son désir. « Il y a tant d’ordonnances, se disait-il, et le docteur n’est pas un oison ; il saura bien trouver quelque chose qui aille à un cas tel que le mien, quelque grabuge à susciter à ce manant. Autrement je le débaptise[2]. » Mais (comme les choses vont quelquefois dans ce monde !) pendant que l’honnête châtelain pensait au docteur comme à l’homme le plus capable de le servir en cette occurrence, un autre homme, celui auquel personne ne songerait, Renzo lui-même, pour l’appeler de son nom, travaillait de cœur et d’âme à le servir d’une manière bien plus sûre et plus expéditive que toutes celles dont le docteur aurait jamais eu l’idée.
J’ai vu souvent un aimable enfant, un peu trop vif peut-être, mais qui, à plus d’un signe, paraît devoir devenir un galant homme, je l’ai vu souvent, dis-je, fort affairé vers le soir pour faire rentrer à couvert un troupeau de cochons d’Inde qu’il avait laissés pendant le jour se répandre en liberté dans un petit jardin. Il aurait voulu les faire aller tous ensemble à leur gîte ; mais c’était peine perdue. L’un se détachait à droite, et tandis que le petit pâtre courait pour le ramener au troupeau, un autre, deux, trois en sortaient à gauche, de tous les
- ↑ Leva il muso, odorando il vento infido.
Ce vers se trouve dans le poème de Tomaso Grossi, intitulé I Lombardi alla prima crociate (les Lombards dans la première croisade), ouvrage qui, publié peu après les Promessi Sposi, a pleinement justifié la prédiction de Manzoni par le succès qu’il a obtenu et l’estime dont il jouit parmi tous les littérateurs en Italie.
- ↑ Le lecteur n’a pas oublié que le sobriquet du docteur peut se traduire par celui de suscite-grabuges.